La philosophie et la société – les obligations réciproques
| docx | pdf | html | skeny ◆ přednáška, francouzsky, vznik: 23. 10. 1990 ◆ poznámka: psáno pro: "COLLOQUE FRANCO-TSCHECOSLOVAQUE, Lundi 22 et mardi 23 octobre 1990, Service culturel de l´Ambassade de France"; není jasné, zda bylo předneseno

La philosophie et la société – les obligations réciproques [1990]

L’engagement politique comme source irremplaçable des réflexions philosophiques. Deux directions de la responsabilité d’un philosophe : pour la cité et devant ce qui est „vrai“.

COLLOQUE FRANCO-TSCHECOSLOVAQUE

Lundi 22 et mardi 23 octobre 1990, Service culturel de l’Ambassade de France

Par le mot „l’intellectuel“, on comprend celui qui est capable de distinguer, c’est-à-dire d’apercevoir des diversités et préciser des différences entre les phénomènes et les pensées. Le rôle des intellectuels dans la cité – et dans notre temps dans la société politique – est très important sans aucun doute. Alors, où est le problème ? Pour le montrer, on peut choisir une des espèces les plus douteuses des intellectuels, savoir les philosophes. La spécificité de la philosophie repose sur ses rapports insupprimables au total du monde, de la cité et de l’homme. C’est pourquoi le philosophe doit réfléchir pas seulement sur la situation de sa cité, mais aussi sur ses propres relations vers la cité. Dans ces efforts, en éclaircissant sa situation dans la cité et aussi la situation de la cité, il doit accepter deux obligations profondes. Il est, premièrement, dévoué à la vérité (ou à la sagesse : FILOSOFEIN est explicable, déjà selon Platon, comme FILALÉTHEIN). Mais il est aussi loyal à sa cité, à sa société. Brièvement dit, il est responsable de sa cité devant la vérité ou dans la lumière de ce qui est vraie et ce qui est juste.

Dans la langue tchèque, il y a plusieurs mots désigneant des principes attirants les activités décisives dans la vie des hommes qui ont la même racine étymologique. Cette racine commune pour eux est « droit », an tchèque « pravý », alors l’opposition de « gauche », mais signifiant beaucoup plus « juste » comme opposition de faux (pas seulement d’injuste). Alors la justice, le droit, la vérité, la règle. Mais aussi ce qui est correct, corriger et correction, la réforme, etc. etc. Il y a aussi un verbe signifiant « dire majestueusement », par exemple « prononcer le jugement » (en ancien tchèque : praviti právo) ou « dire (exprimer) la vérité » (praviti pravdu). Il y a une certaine convergence de la signification de tous ces mots : le vrai ou le juste, c’est quelque chose qui « doit être », c’est-à-dire qui « doit devenir » – et l’homme est responsable d’être à la disposition de tout ce qui doit devenir réel comme juste et vraie. Dans ce sens Emanuel Rádl, probablement le plus grand philosophe tchèque, s’exprimait que la vérité – ou le Dieu – ne sont pas, mais qu’ils doivent être. On doit bien comprendre : ils ne sont aucun étant, pas même un étant suprême ou absolu. Leur royaume est l’avenir, ils ne sont pas donnés, mais ils viennent. Leur nature pouvait être décrite comme adventive. Dans ce sens, ce qui doit être est plus « réel » que ce qui « est » (Rádl).

L’homme – comme chaque être vrai – est situé dans un monde temporel, alors pas seulement parmi des choses données. Le passé n’est plus, mais on doit établir des liaisons avec le passé. L’avenir n’est pas encore, mais on doit être attentif aux signes des choses venantes. L’avenir n’est aucun vide homogène, mais il est structuré. Ses structures s’ouvrent à nous comme des divers appels : il-y-a des appels adressés à nous par des choses, par des êtres vivants, par des hommes. Et nous devons entendre ces appels, nous devons les comprendre et aussi répondre à eux. Il-y-a des appels justes et vrais, mais aussi des appels faux. L’intellectuel doit voir et reconnaître ces différences et réagir convenablement. Ce n’est pas du tout facile parce que notre tradition européenne de penser est caractérisée par son approche à la réalité qui réduit le monde aux choses données, alors aux objets. Cette attitude objectifiante mécomprends les appels en les interprétant comme quelque chose subjective. Mais ce n’est pas moi, ce n’est pas nous qui nous adressons des appels à nous-mêmes. Comprendre la situation, c’est comprendre aussi des appels. La situation n’est pas la même avant et après la compréhension d’un appel. Chaque situation est constituée par un sujet et elle est centrée autour de ce sujet, mais le sujet même est constitué par ses apports aux appels non-objectifs et non-subjectifs qui l’adressent. Il y a aussi une sorte d’appels nommés questions ou problèmes fondamentaux. Leur formulation dépend de nous, naturellement, mais ce sont des questions et problèmes eux-mêmes qui se posent et qui s’adressent à nous et qui nous appellent.

Dans l’histoire des hommes, c´est-à-dire des sociétés, des nations, des civilisations etc., il y avait souvent des situations dans lesquels les hommes n’ont pas réussi à entendre ou à comprendre les appels les plus importants. Mais qui est plus responsable d’attendre, d’entendre, de comprendre et de formuler et transmettre les appels compris que les philosophes ? Mais il y a un problème assez grave : qui a chargé le philosophe d’une tâche si difficile, mais aussi si douteuse d’entendre et reproduire ou traduire des appels adressés à la cité, à la société ou même au continent et à la civilisation européennes ? N’est-elle pas une prétention exagérée ? Est-il possible d’ailleurs d’entendre et de comprendre des appels qui ne sont pas adressés à nous même, mais à un autre, à un collectif, à une société, à la cité ? Est-il possible pour un philosophe d’être un médiateur entre les appels adressés à la cité, à une société, à une culture ou à une époque ? Pour un philosophe, est-il légitime de fonctionner comme un arbitre ou comme un prophète ? Philosopher, c’est désirer à la vérité (ou à la sagesse), aimer la vérité, mais pas l’avoir. Le philosophe connaît deux dangers fondamentaux pour la philosophie : d’être sûr de connaître ce qui est juste et ce qui est vrai, et de ne pas compter du tout avec ce qui est juste et ce qui est vrai. Mais quelque chose comme ça n’est rien pour la vie d’une société politique, rien pour la cité. Quelle est la raison, alors, pour le philosophe de s’engager dans la vie politique de la cité ? Quelle est la raison d’attendre les signes des temps et d’essayer de les comprendre, de les interpréter et de les exprimer et transmettre au public ?

Le philosophe vit dans un espace (milieu) social et politique. Toutes ses activités et passivités ont des conséquences politiques, s’il le veut ou non. Mais la philosophie est une réflexion sans cesse, et avant tout une réflexion de ses propres activités. Le philosophe doit savoir, et il veut savoir ce qu’il fait en pensant et en exprimant ses pensées. Il doit savoir, aussi, quelles sont des conditions externes de la possibilité d’être engagé comme philosophe. Le philosophe a besoin d’être soutenu par des citoyens, il a besoin d’avoir des sympathies et de l’intérêt du côté d’une part de la cité, de la société. Mais il ne peut pas conformer ses pensées aux principes factuellement effectifs acceptés par la société sans examinant leur justification. C’est pourquoi il ne peut pas se limiter aux interprétations et commentaires de la vie politique, et pourquoi il doit, de temps en temps, entrer en scène politique. Dans ce cas, il n’a aucun besoin et il ne peut s’accommoder aux mœurs de la vie et des combat politiques. Son devoir ne consiste pas dans la formation d’un mouvement ou même d’un parti politique, mai dans des idées articulées et exprimées si clairement comme possible, par lesquelles il est possible de justifier ses attributions philosophiques, mais aussi ses visions politiques. Son rôle n’est pas de simuler ou remplacer le politicien, mais il peut et il doit prononcer ses jugements à travers des camps politiques. Pourquoi ?

Il sait que son existence en (qualité de) philosophe est conditionnée et limité par la situation de la cité, c’est-à-dire par la situation politique, mais aussi culturelle, morale et spirituelle de la société. Il doit poser une question essentielle : quelles sont les conditions sociales et politiques dans la cité pour faire les philosophes capables de vivre là en philosophes. (Cette question est aussi liée avec une question historique : quelles conditions sociales et politiques étaient nécessaires pour devenir de la philosophie et des premiers philosophes ?) Nous voyons que ce n’est pas nécessaire d’établir instantanément aucune grande conception philosophique de la société politique ou de l’état pour trouver quelques principes de la vie politique dans la cité. Pour le philosophe, une première chose est clair et sans aucun doute : une telle cité est juste où les philosophes, c’est-à-dire les intellectuels qui aiment la vérité et tout ce qui est vrai et juste, sont capable de vivre, de penser et entrer librement dans des entretiens et interlocutions avec les autres sur des thèmes les plus actuels pour la cité (et pour la philosophie) mais avant tout sur la question ce qui est juste et ce qui est vrai. Il y a des systèmes politiques où on ne peut pas poser librement la question de vérité, soit par ce que tout ce qui et juste et vrai était déjà systématiquement exclue et supprimé, soit par ce que tout ce qui est juste et vrai était déjà « découvert » et officiellement « déclaré » comme tel.

Au nom de la vérité qui est plus puissante que rien dans le monde, le philosophe n’acceptera jamais aucune autorité ni instance terrestrielle ou intramondaine qui pourrai décider sur ce qui est vrai et ce qui est juste. D’autre côté, aucun philosophe vrai ne voudra imposer ses idées et ses vues aux autres et à la cité comme la vérité révélée et définie. Au contraire, il fera la garde pendant toute sa vie pour faire impossible quelque chose comme ça de n’importe quel côté et il posera ses questions critiques à chacun avec prétentions autoritaires pour examiner la légitimation de son orientation politique, mais avant tout la qualité de ses pensées et de ses arguments.

Pendant quelques dernières années, nous sommes affrontés par des vastes changements dans la sphère de l’ancienne domaine soviétique, mais aussi par des immenses dangers pas seulement pour l’Europe, mais pour l’humanité en générale. On prépare une nouvelle intégration européenne économiquement et techniquement ; mais simultanément une désintégration pas seulement économique, mais sociale et politique en générale continue s’approfondir dans l’Europe de l’Est. En ce moment, on doit unir tous les intellectuels de notre continent pour réfléchir sur des possibilités d’établir une base beaucoup plus essentielle pour l’avenir de cette nouvelle Europe que des projet économiques, financiers et juridiques peuvent garantir. La crise de l’Europe la plus profonde est celles des traditions de la pensée européenne qui croulent. Dans cette situation on doit voir des phénomènes, entendre les appels, essayer de comprendre des signes de l’avenir qui viennent d’être visible. Mais on doit revenir aussi aux sources originaires de l’Europe dans l’ancienne Grèce et dans l’ancien Israel. L’époque de la pensée objectivante qui a conçu toute la réalité comme des choses données, comme objets, finit. Il nous faut une nouvelle conceptionnalité dans laquelle nous pourrions travailler pas seulement avec des objets intentionnels, mais aussi avec des non-objets intentionnels. Les intellectuels doivent voir cette différence, prendre de nouvelles manières de penser, peut-être apprendre quelque chose chez des poètes, mais certainement pas pour les imiter seulement. Nos citées de l’avenir auront besoin des penseurs critiques, pensant avec précision et distinguant des phénomènes et des conceptions, pour voir et entendre ce qui est juste et ce qui est vrai. Vrais pour tous.

Bez nadpisu – přečteno při setkání na pozvání francouzské nadace Association Jean Hus, jejímž předsedou byl Vernant a místopředsedou Derrida. Psáno na stroji, na 5 kroužkovaných listech A4, označeno datem 21. X., ale bez roku; odhadem šlo asi o rok 1990 (eventuelně snad i 1991), proneseno při první návštěvě Paříže (na pozvání nadace). Na listu č. 4 jsou mé vlastní poznámky (rukou) z diskuse po přednášce: dvakrát z příspěvků Jacquese Derridy, jedna je z příspěvku J.-P. Vernanta.