Tyrannie de la majorité comme une des vices de la démocratie et l’importance de l’avenir
| docx | pdf | html ◆ přednáška, francouzsky, vznik: květen 1992 ◆ poznámka: příspěvek na mezinárodní konferenci „Démocratie et révolution chez Tocqueville“ v Bukurešti 21.–23. 5. 1992

Tyrannie de la majorité comme une des vices de la démocratie et l’importance de l’avenir [1992]

Symposium à Bucarest, 21.–23. 5. 1992

En caractérisant l’essence de la démocratie, Alexis de Tocqueville sort d’une présupposition fondamentale, c’est à dire que « l’empire de la majorité » dans des gouvernements démocratiques « soit absolu », car « en dehors de la majorité, dans des démocraties, il n’y a rien qui résiste » (193). De ce point de vue, il écrit ses remarques critiques, mais pas du tout pour lui opposer de ce mouvement politique nouveau vers la démocratie. Il comprend bien, comme il l’exprime, comme « intéressante et profitable » pouvait être une étude comme la sienne « pour nous (= c’est à dire pour des Français et vraiment pour tous les Européens – LvH), qu’un mouvement irrésistible entraine chaque jour, et qui marchons en aveugles, peut-être vers le despotisme, peut-être vers la république, mais à coup sure vers un état social démocratique » (151). Selon lui, nous le voyons, la démocratie peut se développer ou bien dans la direction vers la république, ou bien vers un despotisme. Naturellement, la condition de cette deuxième possibilité est que la plupart des citoyens soient aveugle.

Alors, la nature et la destinée de la démocratie dépend du niveau politique et culturel du peuple. Nous trouvons une idée intéressante chez Tocqueville : le problème n’est pas seulement dans l’être plus éclairés, mais « d’avoir la faculté de faire des fautes réparables ». Dans quelle condition consiste cette faculté ? Sans doute dans une capacité déjà un peu cultivée de réagir aux propres fautes et erreurs, alors en être conscients de l’histoire, en mettant à profit « l’expérience du passé ». Comme Tocqueville s’exprime : « il faut que la démocratie soit déjà parvenue à un certain degré de civilisation et de lumières » (176). Dans cette façon, on doit comprendre la prétention de n’être pas aveugle.

Alexis de Tocqueville peut alléguer un exemple de l’Amérique du Sud. Je cite : Là, « la société se débat au fond d’un abîme dont ses propres efforts ne peuvent la faire sortir. Le peuple qui habite cette belle moitié d’un hémisphère semble obstinément attaché à se déchirer les entrailles ; rien ne saurait l’en détourner. L’épuisement le fait un instant tomber dans le repos, et le repos le rend bientôt à de nouvelles fureurs. Quand je viens à le considérer dans cet état alternatif de misères et de crimes, je suis tenté de croire que pour lui le despotisme serait un bienfait. » Néanmoins, il ajoute tout de suite : « Mais ces deux mots ne pourront jamais se trouver unis dans ma pensée. »

Et c’est pourquoi cet « empire absolu » de la majorité dans des gouvernements démocratiques est profondément ambigu. Tocqueville ne le comprend pas comme un vice essentiel et fatal de la démocratie, mais comme un des vices réels. Et il décrit ce vice et ses conséquences pour faire voir des moyens nécessaires pour une solution de ce problème vraiment grave. Il le décrit comme ça : « Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même ? » (196)

Masaryk, le premier président de la République Tchécoslovaque (fondée après la première guerre), s’exprimait plusieurs fois que la démocratie comme système politique ne suffit pas, qu’il y a besoin des démocrates. Mais on doit interpréter aussi le contenu précis de ce mot. Être un démocrate, pour lui, est beaucoup plus qu’accepter une structure de la société politique et des lois du pays, alors être un citoyen loyal. Pour Masaryk, être un démocrate représente une orientation et un style de vie et de la pensée. Être un démocrate signifie non seulement être un membre d’une société démocratique et respecter des décisions d’une majorité, mais respecter aussi les droits des minorités. C’est pourquoi aussi Tocqueville s’exprime si critiquement du fait, qu’en Amérique, « la puissance de la majorité surpasse toutes les puissances que nous connaissons en Europe » (199), et pourquoi il nous préviens de faire fausse route en tomber en décadence du despotisme : « Les monarchies absolues avaient déshonoré le despotisme ; prenons garde que les républiques démocratiques ne le réhabilitent, et qu’en le rendant plus lourd pour quelques-uns, elles nu lui ôtent, aux yeux du plus grand nombre, son aspect odieux et son caractère avilissant. » (200)

Il y a aussi un autre vice de la majorité qui est dangereux pour la société démocratique. « La majorité vit donc dans une perpétuelle adoration d’elle-même ; il n’y a que les étrangers ou l’expérience qui puissent faire arriver certaines vérités jusqu’aux oreilles des Américains. » (200) Tocqueville décrit très précisément et aussi vivement la différence entre le despotisme monarchique et celui des démocraties. « Les princes avaient pour ainsi dire matérialisé la violence ; les républiques démocratiques de nos jours l’ont rendue tout aussi intellectuelle que la volonté humaine qu’elle veut contraindre. Sous le gouvernement absolu d’un seul, le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. Le maître n’y dit plus : Vous penserez comme moi, ou vous mourrez ; il dit : Vous êtes libres de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tous vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l’accorderont point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. Quand vous vous approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur ; et ceux qui croient à votre innocence, ceux-là mêmes vous abandonneront, car on les fuirait à leur tour. Allez en paix, je vous laisse la vie, mais je vous laisse pire que la mort. » (200)

Alexis de Tocqueville a écrit : « Si jamais la liberté se perd en Amérique, il faudra s’en prendre à l’omnipotence de la majorité qui aura porté les minorités au désespoir et les aura forcées de faire un appel à la force matérielle. On verra alors l’anarchie, mais elle arrivera comme conséquence du despotisme. » (203) Et il présent une citation d’un discours du président James Madison, qui « a exprimé les mêmes pensées » : « Il est d’une grande importance dans les républiques, » dit il, « non seulement de défendre la société contre l’oppression de ceux qui la gouvernent, mais encore de garantir une partie de la société contre l’injustice de l’autre. La justice est le but où doit tendre tout gouvernement ; c’est le but que se proposent les hommes en se réunissant. Les peuples ont fait et ferons toujours des efforts vers ce but, jusqu’à ce qu’ils aient réussi à l’atteindre, ou qu’ils aient perdu leur liberté. » C’est pourquoi Tocqueville souligne la supériorité de la souveraineté du genre humain sur la souveraineté d’un peuple ou d’une majorité établie dans une société politique, dans un état-POLIS.

Si on parle du genre humain en général, on doit penser aux générations à venir, aussi, qui n’existent pas encore, mais des droits desquelles nous devons respecter déjà maintenant, déjà aujourd’hui. De nouveau, je peux citer dans cette connexion un philosophe tchèque, Emanuel Rádl, qui voulait repenser la conception des valeurs traditionnelles, et qui les comprend comme donnés objectifs ou objectifiés. Inspirés par sa conception de la vérité qui n’est pas, qui n’existe pas, mais – comme Rádl s’exprime – qui « doit être », nous pouvions essayer d’interpréter cette « loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes », c’est-à-dire la loi de la justice. « La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple [à commander], » écrivait Tocqueville. Rádl voudrait dire : comme la vérité, aussi les droits de l’homme n’étaient pas « faits » par des hommes, mais ils les précèdent. Les hommes sont nés pas seulement dans la misère d’un pays ou d’une époque, mais avant tout dans la justice, dans les droits, dans la vérité qui précède toutes les institutions humaines, toutes les structures politiques et sociales, y compris des structures démocratiques.

Ici, je ne suis pas capable de citer Alexis de Tocqueville lui-même, j’ai peur. Mais si nous devons accepter sa correction de cette « impie et détestable maxime », que la majorité d’un peuple a le droit de tout faire, puis je ne vois aucune autre possibilité que d’accepter une conception philosophique d’après laquelle les appelles et les défis qui nous confrontent ne sont pas toujours réduisable aux circonstances données ou aux constructions de notre subjectivité humaine. Mais c’est une tâche qui dépasse les limites de notre thème.